Amour en musique 1
Nous reprenons lentement notre souffle. Pour ma part, je suis dans une sorte d’état second. Comateux. Ma partenaire a posé sa tête sur ma poitrine, et laisse glisser ses doigts distraitement sur mes mamelons, puis sur la ligne de poils qui part de la vallée de mes mamelons jusqu’à mon pubis. Elle se remet à peine de son tout dernier orgasme. Nous venons de faire l’amour, et c’était beau.
Si l’on m’avait dit que ma banale existence prendrait une telle
tournure… Je n’aurais pas misé un seul kopeck sur une aventure, surtout
avec une fan du groupe dans lequel je joue. J’avais toujours fait preuve
de malchance et de maladresse avec la gente féminine, et ce, depuis
l’adolescence et cette fameuse période où les hormones sexuelles mâles
font parler d’elles. J’avais enchaîné les râteaux les uns après les
autres...parce que je ne savais tout simplement pas m’y prendre
correctement. Cependant, les filles du collège et du lycée jugeaient
l’emballage du produit sans chercher à en goûter le moindre petit
morceau. Avec le temps, j’ai appris à faire avec. Je me suis construit
un blindage de plus en plus épais sans toutefois ne pas fermer la porte
de mon cœur. Dès qu’une fille me plaisait, je me jetais à l’eau. Mon
estime de moi en prenait un coup dès que la fille répondait
à mes mots doux par la négative. C’est ainsi que j’ai petit à petit
fermé ma porte aux femmes, même à celles qui auraient très bien pu avoir
un faible pour moi. À vingt-quatre, vingt-cinq ans, j’avais été
amoureux d’une femme pour la première fois. J’étais persuadé que nous
étions faits l’un pour l’autre et que nous pouvions nous apporter
beaucoup, l’un à l’autre. Malheureusement, ce ne fut qu’une débâcle, une
débâcle de plus à ajouter à mon compteur personnel. Cette femme s’était
jouée de moi, et avait joué avec les sentiments et les attentions
sincères que je lui portais. Ce chagrin d’amour a duré un temps, mais je
suis passé depuis à autre chose. Le naturel revenant au galop, je me
dis après tout que cette femme n’en valait pas la peine, et que d’autres
femmes méritaient davantage d’attention et de considération. En
d’autres termes, j’ai appris à me rouvrir pas à pas à elles.
J’écris depuis que j’ai quinze ans. À la base, il s’agissait purement et
simplement d’une thérapie. A la longue, l’écriture est restée un besoin
dans mon existence. Je m’en sers pour transformer quelque chose de
négatif en positif. J’écrivais à la base des textes de chansons… bien
que je ne sache jouer d’aucun instrument. J’écrivais aussi des poèmes. A
l’âge de quinze ans, j’écoutais énormément de R&B, et je calquais
en quelque sorte ce que faisait M.Pokora et bon nombre de ses confrères.
J’aimais Mariah Carey, et je salivais devant la plastique des
chanteuses R&B et pop du Nouveau Monde. Avec l’âge, mes influences
ont changé. J’ai délaissé le R&B et les histoires où les chanteurs
chantent leur amour pour une belle et où ils rêvent de s’unir à elle. Je
me suis mis à écouter des groupes comme U2, Queen ou encore Depeche
Mode, des artistes solo comme David Bowie, Bruce Springsteen. C’est en
écoutant les paroles tourmentées ainsi que les mélodies électroniques de
Depeche Mode que l’éclair m’est venu, si je puis dire. Martin Gore est
un auteur-compositeur dont les mots et les airs me touchent au plus haut
point. De plus, le personnage scénique qu’il incarne est quelque chose
qui me parle. Discret sur le devant de la scène, mais qui n’en pense pas
moins backstage.
C’est ainsi que je me suis acheté mon premier synthétiseur, un «Roland».
J’ai collé des notes synthétiques à mes textes. Si Martin était mon
nouveau gourou artistique, mes influences littéraires étaient et restent
aujourd’hui encore variées: Pétrarque, Ronsard, Ovide, Verlaine ou
encore Apollinaire. Je faisais mes gammes et mes classes petit à petit,
lentement mais sûrement, dans mon coin. Je continuais aussi d’écrire.
J’avais même commencé à publier mes textes sur un blog. C’est ainsi qu’un groupe de
rock de la capitale avait pris contact avec moi. C’était un groupe qui
chantait en anglais et qui ne jurait apparemment que par ces groupes
anglo-saxons des années 1980: U2, The Cure, INXS ou encore… Depeche
Mode. Côté mélodies, ils avaient de la matière et
envisageaient d’incorporer un peu d’électronique à leur musique. Mais,
ils disaient être confrontés au syndrome connu et universel de la page
blanche. Nous avons fait connaissance via e-mail. Ils m’ont proposé de
rejoindre leur formation. Ils m’ont chargé d’écrire les paroles de leurs
futures chansons.
Thomas est le batteur du groupe. Anthony, le chanteur et guitariste
(aussi le musicien aimé de ces filles), Alexandre (Alex pour les
intimes), le bassiste. Moi, Benoit, je suis devenu le quatrième trublion
de la formation, aux claviers et aux chœurs.
Presque caché derrière mon synthé «Moog», je jouais en tant que partie
du groupe. Oh… il pouvait m'arriver d’exécuter un solo de temps en
temps, en fonction de nos compos. Mais, je n'étais pas du genre à me
mettre en avant. Je n'aimais pas ça. Les gars aimaient les sonorités
vintage de mon "Moog". Elles leur rappelaient les bandes-originales de
films genre Orange Mécanique, et autres chansons glam rock et rock
progressif des années 1970. Ils étaient tombés dessus à l’occasion d’une
répet’ chez moi, un jour. En fait, nous étions en plein dans l’écriture
d’une chanson, et c’était la première fois que les gars venaient chez
moi. Jusqu’alors, soit ça se fait dans notre local de répétition, ou
bien soit chez l’un des trois autres. Jusqu’alors, je jouais avec un
synthé «Casio». Au cours d’une pause, ils étaient donc tombés sur le
"Moog", et limite, c’était le plus beau jour de leur vie. Comme s’ils
venaient de gagner à l’Euro Millions! Ils n’en revenaient pas. Ils m’ont
demandé de jouer un peu de notre compo en travaux sur ce synthé vintage
analogique. Et là, c’était le coup de foudre. Il n’y en avait plus que
pour ce bon vieux Moog. En contrepartie, je demandai à ce que l’on
s’essaie à des chansons dans notre bonne vieille langue de Molière.
L’anglais, c’est bien beau. C’est une langue mondiale. Mais, tout le
monde ne le comprend et ne le parle pas forcément. Et puis… Le français
est une belle langue quand même, non? C’est justement pour l’écriture d'un morceau que les gars ont accepté mon idée.
Aujourd’hui encore, nous composons une partie de nos titres en anglais,
mais nous tenons aussi à rendre hommage le plus possible à notre chère
langue française. Pour les trois autres gars, chanter des chansons en
français qui parlent d'amour, ça fait chavirer le cœur
des filles. Ces chansons sont écrites pour frimer, draguer, flirter ou
bien parfois pour faire danser. Et ce sont mes collègues de scène qui
récoltent les lauriers, les suffrages, les faveurs d’une partie bien
ciblée de notre public. Presque caché derrière mon clavier, et presque
gêné par ces longues minutes de confession, je suis loin de provoquer les émois de nos
admiratrices. Et pourtant… J’étais bien loin de me douter qu’il pouvait
en être autrement…
Montpellier, Café des Amours, 23 heures. Nous quittons tout doucement la
scène. Nous venons de jouer une heure notre "set", et, sans me vanter,
le concert s'est bien passé. Pour nous, les "Princes of the Universe"
(du nom d'une chanson de Queen), jouer en province, c'est
toujours excitant. À Paris, nous sommes vus et considérés comme une
valeur discrète mais montante de la nouvelle scène rock locale. Il faut
dire qu'avec trois "allumés" sur scène, nos "gigs" commencent petit à
petit à attirer du monde, à nous établir une relative réputation et à
faire parler de nous. Presque caché derrière mon clavier, on pourrait
croire que je suis une erreur de casting, une anomalie dans l'ADN du
groupe.
Et pourtant… J'écris toutes les paroles de notre répertoire, et je suis
préposé aux chœurs. Il faut dire qu'avec mon timbre de voix atypique… Je
suis un homme, et pourtant, ma voix est quasi féminin. Ça a bien
surpris les gars au tout début, quand j'avais chantonné, en répet', les
paroles d'une des premières chansons que nous composions. Et pourtant…
Nous avons décidé, au final, d'allier la voix puissante et suave
d'Anthony (qui, avec sa six-cordes Fender Telecaster, se voyait bien
être un énième The Edge et autre Noel Gallagher) avec ma voix somme
toute androgyne. Les premiers papiers que les fanzines et autres
magazines rock ont écrits sur nous pensaient que "le claviériste du
groupe était en fait une femme." Faux! Depuis, ils
s'en sont faits une raison et s'y sont habitués. Ils soulignaient même
progressivement "la dualité de nos deux voix". Pourtant, ce n'est pas un
duel vocal à nos yeux à nous. J'appuie et accompagne le chant
d'Anthony.
Notre but n'est pas de se voler la vedette. Nous sommes quatre
"vedettes" sur scène. Thomas, derrière son kit de batterie, est un bon
musicien. Il est capable de tenir à la fois un jeu puissant et rythmé,
et parfois un tempo plus lent quand il s'agit d'une ballade langoureuse
et lancinante. Backstage, il ne se prend jamais au sérieux, chambre
toujours gentiment mais sans aucune méchanceté. Alex, lui, est le
pendant idéal de Thomas à la section rythmique. On ne l'entend jamais
vocalement parlant sur scène, mais quand il a sa quatre-cordes Fender
Precision Bass dans les mains, ses lignes de basse sont très agréables à
entendre. J'aime tout particulièrement quand il se met à
jouer une mélodie, une "vibe" plus funky que d'habitude.
Je le vois comme notre Adam Clayton à nous. Sur scène, il tente d'être aussi charismatique que Simon
Gallup ou bien Paul Simonon. Mais, c'est un bon musicien. Et, j'ai envie
de dire: un bon ami. Au sein du groupe, il n'est pas seulement un
collègue de répet' et de scène. Il est celui dont je suis le plus proche
hors des feux de la scène, même si je constitue un binôme fort avec
Anthony pour les mélodies et les vocaux.
Montpellier, 23 heures, retour à la réalité. Ce fut une fois de plus un
bon concert. Nous avons eu plutôt un bel accueil de la part de la
centaine de Montpelliérains présent dans le modeste café. Nous étions le
troisième des quatre groupes à nous produire sur scène ce soir. J'aime
ces concerts en province au sens où, déjà, ça me/nous change de Paname.
Les Héraultais ont un peu donné de la voix, et, c'est toujours exhalant
quand il y a alchimie et interaction avec un/votre public. De l'intro de
The Little Bitch jusqu'aux dernières notes de En première ligne en
passant par mon éternel passage solo rituel (ce soir sur It's No Good,
de Depeche Mode), nous n'avons pas chômé.
Retour backstage, nous reprenons pas à pas nos esprits. Nous nous
détendons. Baptiste, le cinquième membre (officieux) de la bande, notre
"roadie" et sporadiquement guitariste rythmique/clavier, est à nos
petits soins: "De quoi as-tu envie?" "Une bière?" "Un Coca?" "Comment tu
te sens?" "Les gars, c'était dément ce soir!" etc. Je reprenais mes
esprits. J'appliquais quelques exercices de sophrologie afin de redonner
de l'énergie et de la vitalité à chacun des "systèmes" de mon
organisme. Baptiste et les autres savaient que c'étaient mes "minutes de
pure douceur", mes minutes à moi ; et que je ne voulais pas en être
déconnecté. Je ne suis pas une putain de pop star, de rock star ou de
diva. Je ne veux pas tel cocktail ultra compliqué à réaliser, telle
marque de vodka ou de champagne. Je veux juste jouir de cinq minutes
pour reprendre mes esprits. Pourtant, à 23 heures 04, Baptiste pénétra
dans la loge, une jeune femme rousse suivant ses pas.
– Benoit, excuse-moi, je sais que tu es en pleine sophro, mais je ne
peux pas faire autrement... Heu… Le mieux… C'est que je m'éclipse et
que… Que je vous laisse tous les deux…
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